1996 - T2 3D - Battle Across Time
"Nous aurions pu entrer en pré-production depuis un moment déjà, mais Carolco, la société de production qui détient les droits de T3, n'avait plus les reins assez solides pour soutenir le projet au moment où je pouvais le lancer". James Cameron dit vrai. Plus question pour Carolco, actuellement en liquidation, d'investir des fortunes dans un T3 forcément dépensier, surtout après les flops de "L'Ile aux Pirates" et de "Showgirls".
Si Carolco n'a plus un dollar en banque, Universal nage par contre dans les billets verts. Des dollars que la célèbre firme hollywoodienne n'investit pas exclusivement dans le Septième Art. Il y a Universal TV, Universal Vidéo, une flopée de labels encore.
Et Universal City en Flodide, gigantesque parc où les grands succès du studio perdurent à travers des attractions aussi spectaculaires que "Retour vers le Futur" où les touristes, embarqués par grappes de six dans la DeLorean du Professeur Brown, véhicule monté sur un bras mécanique, visitent passé et avenir sur un écran hémisphérique.
Les Dents de la Mer, King Kong, Backdraft, SOS Fantômes et E.T. inspirent également des attractions variablement impressionnantes. La plus attendue de toutes : "Jurassic Park" dont le budget plafonne à 100 millions de dollars.
Les gens d'Universal City nous ont contacté à Lightstorm, dans le but de faire du Terminator une attraction à usage des touristes. Au départ, l'initiative m'a paru pour le moins suspecte. Pas question que le cyborg devienne un simple produit dérivé, un robot risible de fête foraine. Pas question de le vulgariser. James Cameron répond par un niet catégorique à la proposition d'Universal City et de Gary Goddard (réalisateur des Maîtres de l'Univers reconverti dans les parcs d'attraction).
Soucieux de préserver l'intégrité de son Terminator, de lui épargner l'étiquetage "automate de foire", le cinéaste refuse l'offre tandis que l'un de ses plus proches lieutenants gamberge dans son coin, intéressé. Son intérêt lui vaut d'ailleurs de partager avec James Cameron, mobilisé par le naufrage de Titanic, la mise en scène de Terminator 2 3-D. Une petite part de la réalisation va également à Stan Winston, cofondateur de Digital Demain. Ses T-70, des cyborgs à l'état de robustes armatures au nombre de six, le maquilleur deux fois lauréat de l'Oscar les dirige le temps de quelques images.
Des images extrêmement onéreuses car, dans sa globalité, Terminator 2 3-D revient à 60 millions de dollars. Un tournage nocturne de deux semaines dans le désert de Mojave, sur le site de Kaiser Eagle Mountain (une mine de fer désaffectée), plus de 100 voitures et camions pour donner l'illusion d'un Los Angeles dévasté, une équipe composée d'une centaine de personnes... À la seconde, Terminator 2 3-D décroche, loin devant Waterworld, l'Oscar du film le plus cher de toute l'histoire du cinéma. Car, selon les termes de James Cameron, c'est bien de cinéma dont on parle.
Responsable de Digital Domain, qui est à James Cameron ce que Industrial Light and Magic est à George Lucas, John Bruno participe étroitement à la confection des effets spéciaux de Terminator 2, Abyss et True Lies. "C'est lui qui a pensé à tourner un court métrage en relief prolongeant le scénario de Terminator et permettant également une véritable interactivité avec des éléments extérieurs, des comédiens sur une scène". L'idée plaît à James Cameron dont les cellules grises se mettent en branle. Du rejet pur et simple, il évolue à des sentiments meilleurs. "Bon, c'est vrai, on m'a vaguement présenté le projet en ces termes : 'Prenons un grand bonhomme, collons lui un maquillage de cyborg et demandons lui de tirailler dans tous les sens. Il ferait un fantastique Terminator !'. De ça, je n'en voulais pas. Tant qu'à tourner un autre Terminator, autant le faire pour de vrai. Evitons les vagues sosies et engageons Arnold Schwarzenegger, Linda Hamilton, Edward Furlong et Robert Patrick. Et virons tout ce cirque !".
L'imaginaire de James Cameron ne court plus, il galope. Car dans ce Terminator bis pour Universal City, il perçoit désormais matière à un mini-film qui fasse le trait d'union entre Terminator 2 et un possible Terminator 3. Le show commandité prend une toute autre direction. "Oui, pour moi, ce Terminator constitue un réel troisième segment à la saga, à la différence que vous ne pourrez pas le voir dans les salles de cinéma. Même s'il ne dépasse pas les douze minutes, c'est vraiment un Terminator de souche, une suite. Un spectacle qui ne réchauffe pas des scènes que vous connaissez déjà par cœur. Nous ne voulions pas que ce mini-film donne l'impression de recycler les moments les plus spectaculaires de Terminator 2.
C'est ainsi que nous avons transporté le Terminator et John Connor dans le futur, à une époque où la guerre entre les machines et les survivants à l'apocalypse du 29 août 1997 fait rage. Ça, vous n'y avez encore jamais assisté ! Nous avons créé spécialement pour l'occasion de nouvelles armes, de nouvelles machines infernales, de nouvelles difficultés à surmonter". James Cameron ne raconte pas des sornettes. Il transporte effectivement John Connor et le Terminator en 2029, à une époque où il ne fait pas bon vivre.
Toujours d'attaque le cyborg, après un bain prolongé dans une cuve de métal en fusion ? Bien sûr que non. Il s'agit d'un nouvel exemplaire, rigoureusement identique au précédent, programmé pour protéger Sarah et John Connor des assauts incessants d'un autre T-lOOO, expédié du futur lui aussi.
Le Terminator et John Connor quittent l'époque actuelle pour 2029, avec une idée bien précise derrière la tête. Leur objectif : anéantir la firme Cyberdyne Systems dont les ordinateurs portent la responsabilité de l'état de la planète et de l'expansion des machines. Mais détruire le Maître du Monde n'est pas une tâche facile. Non seulement le T-1000 file au train du cyborg et de son protégé, mais de nouveaux adversaires entravent leur progression. Notamment une vieille connaissance : le Terminator du film original, présent sous la forme d'un squelette d'acier chromé. Pour lui prêter main forte : de petits droïdes mitrailleurs en forme de soucoupe volante. Pas bien dur de s'en débarrasser.
Au terme de quelques explosions titanesques et de gunfights abondamment nourris, le Terminator et John Connor parviennent à Cyberdyne, une pyramide immense au milieu d'une ville réduite à l'état de tas de gravats. Là, nulle trace de vie humaine, d'opérateur, de technicien. Désormais, les robots se construisent eux-mêmes sur de gigantesques chaînes de montage. Seule possibilité pour envoyer à la ferraille cette usine entièrement automatisée : pénétrer au cœur même de Cyberdyne Systems et y placer une bombe nucléaire, façon Luke Skywalker envoyant un missile dans les entrailles de l'Étoile Noire de La Guerre des Étoiles. C'est exactement ce que fait le Terminator qui, une fois encore, se sacrifie pour la cause humaine. Un sacrifice ultime après qu'il ait eu le temps d'ouvrir une fenêtre temporelle, renvoyant ainsi John Connor à son époque.
Mais le Terminator ne gagne pas aussi facilement la guerre, puisque Cyberdyne jette dans l'arène son dernier joujou, un Terminator d'une effarante puissance, le T-1M. Rien que ça. Colossal, c'est la combinaison robotique, rayon métal liquide, de l'araignée et du crabe. Un monstre à géométrie variable il va sans dire. "Cette histoire, ce n'était pas évident du tout de la raconter. D'abord, nous avons choisi de rafraîchir la mémoire du visiteur.
Avant que ne commence Terminator 2 3-D, nous amenons le spectateur dans l'entrée de l'immeuble de Cyberdyne où une hôtesse vous présente les cyborgs de la compagnie. C'est alors que l'alarme signale que Sarah et John Connor s'introduisent dans la forteresse. Ce prétexte vous amène à passer dans une autre pièce. Dès que vous vous êtes assis, la fiction démarre vraiment, partagée entre la scène et l'écran. A l'écran, vous avez le Terminator pilotant sa moto et fonçant vers le spectateur. Il disparaît et, sans que vous vous en rendiez compte, un autre Terminator motorisé sort d'une trappe, caché par un nuage de fumée.
Le cyborg annonce alors : "je vous avais pourtant dit que je reviendrai". Là-dessus, il met les gaz en direction de la toile blanche. Nouveau nuage de fumée ! Et Arnold Schwarzenegger prend le relais. Tout Terminator2 3-D est une sorte de va-et-vient entre la scène et l'écran". Un va-et-vient orchestré à la perfection, au millième de seconde près. À éviter à tout prix : que le spectateur décroche par la faute de la plus infime erreur de synchronisation.
Dans notre esprit, Terminator 2 3-D n 'est pas seulement une attraction à destination d'un parc thématique. Il fait un premier pas vers un troisième Terminator et contribue à maintenir vivante la mythologie de la série. C'est notamment ce qu'Arnold Schwarzenegger a apprécié dans le projet, ça et la possibilité de tourner un autre Terminator, chose qu'il attend toujours avec impatience". Il pourrait le précipiter, ce Terminator 3, en mettant la main à la poche pour en racheter les droits, bloqués par la faillite de Carolco auquel il a récemment enlevé, pour une somme coquette, Les Croisades de Paul Verhoeven.
"Il ne m'a pas été très difficile de persuader les principaux comédiens de Terminator 2 de retrouver leur personnage. Seule contrariété : accommoder leur agenda. L'écriture du scénario a largement été facilitée par le fait que tous les spectateurs connaissent les protagonistes, le moteur de l'intrigue. Ces personnages font ici la jonction entre Terminator 2 et le suivant car le scénario de Terminator 3 les implique. Pas besoin de nous étendre sur la dramaturgie, la psychologie. Cela aurait été un cauchemar de raconter une histoire sensée, impliquant d'incroyables effets spéciaux, en une douzaine de minutes. Impossible de s'attarder, d'établir l'identité des intervenants. Nous nous sommes essentiellement préoccupés du spectacle, de l'action". A ce titre, Terminator 2 3-D remplit son contrat au-delà de toute espérance, reléguant au musée le Captain Eo de Francis Coppola, réalisé pour Disneyland en 1986 selon un principe voisin.
Le relief de Terminator 2 3-D, le plus performant à ce jour, en met plein les mirettes. À la condition express de porter des lorgnons gris, semblables à des lunettes de soleil, autrement plus sophistiqués que les filtres rouge et vert qui permettaient jadis de visionner à la télévision La Créature du Lac Noir. Pas de migraine en perspective. Évidemment, James Cameron ne coupe pas à l'incontournable canon de la pétoire d'Arnold Schwarzenegger qui jaillit littéralement de l'écran. Un effet aussi usé que celui de la tapette à rats de L'Homme au Masque de Cire et des colts de Western.
La technologie de Digital Domain, James Cameron la met au service de sensations autrement plus fortes, d'un show qui repousse très loin les limites de l'impossible. "Les logiciels de Digital Domain ont été particulièrement sollicités dans la dernière moitié de Terminator 2 3-D. Ils ont fabriqué en images de synthèse le décor de Cyberdyne et le T-Un Million dans toutes ses phases de métamorphose. Même l'explosion finale est le fruit des ordinateurs. Il aurait été extrêmement dangereux, voire suicidaire, de confronter directement Arnold Schwarzenegger et Edward Furlong à une déflagration de celte magnitude". Une puissance qui balaie littéralement la salle car, pour mieux plonger le spectateur dans l'ambiance, des ventilateurs envoient un souffle chaud. Impressionnant, surtout que le relief propulse les flammes, les débris au-dessus du public. Fragiles du palpitant s'abstenir !
Encore une raison de faire un infarctus : le T-1M atomisé en des milliers de particules - après que le Terminator l'ait arrosé d'hydrogène - lesquels fragments, comme une pluie horizontale de grêlons, filent aux quatre coins de la salle. Mais l'instant d'après, les miettes reviennent vers leur source afin que le monstre se régénère une fois encore. Saisissante aussi l'explosion, vue du dessus, d'un T-70 dont le crâne décolle littéralement de l'écran !
Quand ce sont des forteresses volantes crachant le feu qui harcèlent les fugitifs, des faisceaux de lumière parcourent la salle ! Encore un petit plus pour rendre la scène plus vivante, plus sensitive : la vaporisation légère d'eau, de fumée. Et des odeurs de souffre, de poudre lorsque les tremblons crachent leurs projectiles. Pas de pastilles en odorama à gratter néanmoins au spectacle de Terminator 2 3-D : ni Arnold Schwarzenegger ni Edward Furlong ne promènent leurs chaussettes sous le blair de leurs adversaires cybernétiques. "Pour que le spectateur ressente plus intensément encore le film, nous avons aménagé la salle d 'Universal City en fonction de ce qui arrive à l'écran.
Ainsi, lorsque le Terminator et John Connor descendent au coeur de Cyberdyne, dans Skynet, et que les portes se ferment derrière eux, les lumières s'éteignent totalement en même temps que le sol de la salle s'affaisse". James Cameron omet de signaler que les sièges bougent, tremblent au rythme des explosions. Un peu comme au bon vieux temps du "Sensurround" des seventies. William Castle, artisan de la série B fantastique par qui les squelettes traversaient les cinémas pour effrayer le public crédule, apprécierait les fastes de ce spectacle.
Même si les effets relief sont spectaculaires, impressionnants et réalistes, John Bruno et moi n 'avons pas tourné ce mini-film uniquement en fonction d'eux. Terminator 2 3-D, nous l'avons conçu d'abord sous l'angle d'une fiction ordinaire. Nous ne voulions surtout pas que l'on ait l'impression que les protagonistes jettent tout ce qui leur passe sous la main au visage du public. Le relief n'est là que pour renforcer l'impact dramatique".
Un impact qui se gagne à l'arraché sur le plateau. La 3-D, ce n'est pas du gâteau, cela demande une méticuleuse préparation du fait de la présence de deux caméras spéciales sous le feu croisé desquelles naît le relief justement. "Nous avions ces monstrueuses caméras, aussi grosses qu 'un réfrigérateur. Et il fallait les manier de façon à ce que leurs mouvements retrouvent la fluidité des légers travellings des précédents Terminator.-Ce fut, sur le plateau, l'obstacle majeur pour parvenir à ce que les gens attendent d'un film de la série, une vraie dynamique de l'image, la sensation de vitesse et de brutale accélération du rythme".
Un vrai défi technique, compliqué du fait que la moindre secousse, la moindre vibration ruinerait l'effet escompté. Et lorsque les caméras suivent Arnold Schwarzenegger et Edward Furlong chevauchant une moto fonçant à tombeau ouvert, pas la moindre aspérité, pas le moindre gravier ne doit gêner les opérations. Un cauchemar pour les chefs opérateurs Russell Carpenter (True Lies) et Peter Anderson, spécialiste de la 3-D, tenus de tourner en 70mm, un format qui laisse loin derrière lui le 35 mm des super-productions hollywoodiennes.
"Mieux que le 35mm, le 70mm restitue le monde tel qu'il est. Il permet également une profondeur de champ assez inouïe, ce qui décuple la puissance visuelle de T2 3-D" soutient Russell Carpenter, plutôt heureux de se livrer, dans le désert de Mojave, à des expériences inédites de mémoire de directeur de la photo. "Bien que nos caméras pesaient chacune 225 kilos, nous avons notamment réussi à les fixer sur un système de cordages et de poulies pour les faire traverser une ville qui explose de partout a la vitesse de 80 km/h" intervient James Cameron, as de la pyrotechnie et néanmoins cinéaste.
Imaginez donc cet effarant travelling dans une salle où T2 3-D est projeté simultanément, dans son dénouement du moins, sur trois écrans de 5 mètres de haut sur 10 de large, devant 700 spectateurs. Des privilégiés ? Plus pour longtemps car Terminator 2 3-D promet de s'expatrier, hors de l'Universal City de Floride. Vers Los Angeles, Tokyo et l'Europe. En Espagne ?Où à Londres , où sévit déjà l'attraction "Aliens".
Emmanuel ITIER - Paru dans Mad Movies n°101.