1981 - Piranha 2 : The Spawning (Piranha 2 : Les Tueurs volants)
En 1981, James Cameron réalise son premier film. Mais à cause d'un producteur trop intransigeant, le contrôle du montage lui échappe, sauf sur le territoire américain, où le cinéaste débutant réussit à imposer sa vision originale, dans une version alternative considérée aujourd'hui comme "perdue".
Piranha 2. Deux mots plus dévastateurs qu'une rafale de minigun, qui font gloser les détracteurs de James Cameron. L'as dans la manche qu'ils ne manquent jamais de lâcher lors des repas-débats du samedi midi entre cinéphiles. Le canard boiteux de sa carriere. « Le meilleur film de Piranhas volants jamais tourné ››, comme ironise son réalisateur. Un secret honteux, longtemps considéré par Cameron comme un squelette dans son placard, vu qu'il apparaît ou disparaît de ses filmographies au gré des interviews et des press-books. Certes, le bruit court qu'un director's cut du film existe mais le bruit court également qu'il serait un mythe, personne ne semblant l'avoir vu. Quelques pièces a conviction traînent pourtant sur internet : Cameron lui-même avoue en 2008 à la télévision canadienne dans l’émission "The Hour", le sourire aux lèvres, avoir remonté et amélioré le film "illégalement" : "J'ai vraiment rendu le film meilleur!". Mais de cet hypothétique director's cut, aucune trace. La seule version disponible en DVD des deux côtés de l'Atlantique est celle du producteur, l'ltalien Ovidio G. Assonitis, aujourd’hui retiré du métier. Celle que tout le monde a vu (ou tenté de voir), donc, et qui ne corrobore pas les propos de Cameron...
Le background de l'histoire est connu : sur le tournage de La Galaxie de la terreur, deux producteurs voient Cameron obtenir une performance d'une armée de vers en envoyant du courant électrique dans un morceau de viande sur lequel reposaient les bestioles. « Ils se sont dit que si j'arrivais à faire jouer des vers, je devrais y arriver aussi avec des humains. » Les deux hommes lui proposent de réaliser la suite du Piranha de Joe Dante (1978) qui doit se tourner entre la Jamaïque et l’ltalie.
En se jetant corps et âme dans le projet, le jeune réalisateur se doute bien que le cadeau est empoisonné. Ce qu'il ne sait pas encore, c'est qu'Assonitis n'a aucune intention de lui laisser les rênes du film. Quand on connaît l'obsession du contrôle légendaire de Cameron, on imagine le clash. ll est viré, d'après ses propos, au bout de 8 jours de tournage. Selon certaines sources impliquées dans la production, il aurait en fait tourné l'intégralité des extérieurs et intérieurs en décors réels (en dehors des plans de jeunes filles aux seins nus, dirigés par la seconde équipe et le producteur à l'autre bout de l'île), et se serait ensuite, seulement, fait licencier par Assonitis, qui part avec l'équipe terminer le long-métrage en studio à Rome. Pour Cameron, c'est un cauchemar. Sa carrière de cinéaste semble mort-née. Seulement voilà, comme Marshall Murdock dans Rambo 2, Assonitis a fait une erreur : elle s'appelle James Cameron.
Très énervé - on le comprend -, Cameron se rend à Rome en mars 1981 et fonce dans les locaux de la production réclamer des comptes. Le producteur, inquiet, brandit un coupe-papier pour se protéger. "C'est de la merde. Rien n'est raccord" lui dit Assonitis. La suite des événements est depuis devenue légendaire : exclu du projet, sans un sou, dans un pays étranger dont il ne parle pas la langue, survivant en « volant les restes dans les plateaux-repas de l'hôtel », Cameron pénètre par effraction dans la salle de montage et visionne les rushes qu'on a refusé de lui montrer. Déterminé, il remonte le film en cachette nuit après nuit en puisant dans le chutier, jusqu'à ce qu’il se fasse attraper par Assonitis qui dépose plainte contre lui.
Cameron refuse de raconter comment il a réussi à retourner aux États-Unis. On peut donc en conclure qu'il a été mis dans un avion par les autorités...Le montage final du producteur sort dans les salles italiennes en décembre 1981. C'est un film surréaliste, une bouillie visuelle indigeste mal montée et incohérente, truffée d'un humour hystérique pour décérébrés typiquement seventies, où des jeunes filles à gros seins roulent dans la farine des attardés mentaux au physique d'Albert Dupontel, et ou de vieilles salopes ridées draguent les jeunes moniteurs de la plage. Les Bronzés avec des piranhas volants ! Pas exactement le premier long métrage dont Cameron avait rêvé...
L'histoire ne s'arrête pas là. C'est même ici qu'elle devient encore plus intéressante : Roger Corman, qui a des parts dans le film, vend l'année suivante sa compagnie New World Pictures, ce qui a pour effet de retarder la sortie américaine de Piranha 2 pendant près d'un an et demi. Quand Cameron apprend que le film va finalement sortir en juin 1983 dans les salles aux USA, il use de ses relations avec le producteur et réussit à convaincre le distributeur cinéma américain, Warner Bros., de le laisser remonter le film à sa convenance afin de le rendre "acceptable".
Livré à lui-même dans une salle de montage, enfin libre, il va alors créer un director’s cut de Piranha 2 d'une durée de 1 heure, 24 minutes et 30 secondes (le "producer’s cut", fait 10 minutes de plus). C'est un moment-clé dans la carrière du réalisateur, la première bataille qu'il remporte sur le système (Terminator ne sera tourné que l'année suivante). C'est aussi la mise en place de l'un des jalons de toute sa filmographie : l'existence invariable d'une version alternative de chacun de ses films, qu'elle soit rendue publique ou non. Ce director's Cut, longtemps invisible, nous l'avons cherché sans relâche. Et nous l'avons finalement trouvé, dans sa seule version désormais existante, le LaserDisc NTSC MCA sorti en tirage très limité à 500 exemplaires en 1985.
Une fois l'objet introduit dans une platine, le fan de base de Cameron n'est pas au bout de ses surprises : ce n'est absolument pas le même film ! Cameron a tranché dans toutes les scènes qu'il n'a pas réalisées, soit la quasi-totalité des intérieurs et des moments à Rome, et a complètement retravaillé le montage. Il n'y a pas de pré-générique dans cette version, qui commence avec le générique psychédélique hypnotique de Stelvio Cipriani. Derrière, Cameron cale directement les scènes marines du début (le couple surpris en pleins ébats aquatiques par les piranhas), mais avec un filtre bleu très prononcé sur tout l'écran. Une musique tirée du premier Piranha vient couvrir les coupes. Il ne fait aucun doute, à ce stade, que l'on est en face d'un film de James Cameron : les images rappellent furieusement Abyss ! ceux qui en douteraient encore, Cameron assène sa carte maîtresse : le point de vue des piranhas fonçant vers le couple est désormais filtré en rouge, exactement comme le sera un an plus tard la vision du Terminator ! En cinq minutes, le réalisateur réussit à imposer sur le film une atmosphère et un style visuel qui deviendront sa marque de fabrique.
En continuant à comparer les deux versions, on prend conscience de la distance qui sépare la vision de Cameron, déjà maître dans l'art de raconter une histoire, de l'incompétence totale avec laquelle les Italiens ont monté le long-métrage. Des séquences entières sont déplacées dans la timeline, ce qui, miraculeusement rend enfin Piranha 2 cohérent. Remises dans un contexte dramatique construit, les similitudes avec les films à venir de Cameron apparaissent alors plus évidentes.
La divorcée Anne Kimbrough (Tricia O'Neil, que Cameron réutilisera dans Titanic), divorcée de Steve Kimbrough (Lance Henriksen, en route pour Terminator et Aliens, le retour), est un prototype d'Ellen Ripley (Sigourney Weaver), partageant avec elle, outre la même coupe de cheveux, la même détermination. L'étrange Tyler Sherman (Steve Marachuk), qui fait ami-ami avec elle avant de révéler ses vraies intentions, annonce le personnage de Carter Burke (Paul Reiser). Une scène d'explications entre les deux protagonistes sur un bateau renvoie même littéralement à celle entre Ripley et Burke dans Aliens, qui en reprend d'ailleurs au mot près certaines lignes de dialogue ! La séquence de réunion du conseil du club de vacances ressemble à s'y méprendre au procès de Ripley. L'épave du bateau abandonné annonce Titanic et Abyss, et les piranhas ne sont ni plus ni moins que des ersatz des futures créatures d’Aliens. Un passage se déroulant dans une morgue, où un piranha volant surgit d'un cadavre, décalque même pendant quelques secondes la mythique scène du "chest burster" du premier Alien.
L'histoire (l'armée a manipulé génétiquement des piranhas pendant la guerre du Vietnam, mais l'expérience leur a échappé) couvre toute la filmographie future du King of the World, mélangeant déjà syndrome post-Vietnam et science-fiction futuriste. Cette version de Piranha 2, largement supérieure à la première, devient donc un brouillon de toutes les obsessions à venir du cinéaste, une pièce fondatrice de sa filmographie. Certes, elle ne fait pas du film un chef-d'oeuvre. Mais un brouillon de James Cameron vaut sans doute mieux que beaucoup de longs-métrages aboutis d'autres réalisateurs. Et puis, "il vous semblera meilleur entre amis, après avoir descendu chacun la moitié d'un pack de bières !" Croyez-le : c'est Cameron qui vous le dit !
David FAKRIKIAN - Tiré de l'excellent numéro Hors Série de «Mad Movie» que nous vous recommandons.